Texte daté de janvier 1979 à l’occasion de l’exposition au centre culturel de Versailles en mars-avril 1979.
"Chez l’artiste, l’instinct est au commencement de tout."
Élie Faure
Les amis de Richard Maguet se sont réunis pour honorer sa mémoire en présentant au public versaillais un choix de son œuvre qui s’échelonne de 1911 à 1940.
Né à Amiens, en 1896, dans une modeste famille picarde, Maguet manifesta tout jeune une attirance peu commune pour la peinture. J’emprunte ici un fragment de la préface écrite par Berthold Mahn pour l’exposition de “Maguet autour de ses amis” qui eut lieu à Paris à la galerie Maurice en 1955 : “ Maguet, puisant aux nobles sources évoquait souvent Masaccio, Corot, Cézanne et tous les autres demi-dieux, mais je crois que les trois premiers l’émerveillèrent le plus durablement. De nos jours, on cache soigneusement ses origines, on les camoufle, on leur tord le cou…”
En 1932, l’obtention d’une bourse de la villa Abd-el-Tif à Alger vint le délivrer d’une situation matérielle impossible en lui apportant enfin la sécurité de pouvoir peindre “libéré”, ce qu’il fit le lendemain même de son arrivée sans le moindre temps de mise en route. On peut dire qu’il connut l’Afrique du Nord exclusivement avec le pinceau ou le crayon à la main ! C’était trop de bonheur à la fois !... Il perdit Lucienne d’une crise cardiaque un matin de janvier 1933, un dimanche de sinistre mémoire. Alors, il voyagea dans le sud algérien, au Maroc d’où il rapporta d’admirables dessins de paysages et dans le même temps de superbes aquarelles qu’il disait ne pas savoir faire !
Richard Maguet n’était pas fait pour la solitude, avec un enfant encore jeune. Il épousa Denise Titre qui fut son inspiratrice et une merveilleuse compagne.
À son retour d’Algérie en 1935, il exposa à la galerie Bernier. Son talent qui s’était affirmé dans le ciel méditerranéen se développa ensuite à l’occasion de nombreux séjours en Provence, à Saint-Rémy, Saint-Paul-de-Vence et Graveson, le pays de cet autre grand peintre Auguste Chabaud.
Je ne saurai parler sans une certaine émotion de ces courtes années de 1935 à 1940 qui lui restèrent pour peindre. Il peignit avec un rare bonheur les choses les plus ordinaires ; ces coins d’atelier qui devenaient somptueux sous son pinceau, comme, par exemple, telle nature morte au paquet de cordages sur une table et au coquillage blanc. Quelle distinction dans l’interprétation de ces objets qui relèvent plus du grenier que d’une collection ! Il avait retrouvé la tradition sans l’avoir cherchée, à force d’acharnement et d’humilité, qualités qui font bien sourire aujourd’hui.
Dans le chaos où l’Art est tombé en cette fin de siècle, les niaiseries et les bizarreries invraisemblables – qui ne choquent plus personne d’ailleurs – sont portées au pinacle par le bla-bla-bla de nos “Malrauxfaisants” de la plume. Elles se vendent souvent très cher. L’argent est devenu le seul critère pour mesurer le talent.
Paul Valery évoquant, à propos de Degas, les problèmes de la peinture moderne a écrit : “Je vois dans tout ceci le danger de la facilité et je trouve l’idée de l’Art de moins en moins unie à celle du développement le plus complet d’une personne et, par là, de quelques autres…” Il est certain que Maguet ne s’est jamais départi, durant toute sa vie, de cette recherche la plus exigeante et la plus constante.
Qu’aurait-il apporté depuis si, étant militaire, il n’avait pas été tué le dimanche 12 juin 1940 au pont de Sully sur Loire ? lui qui, agent de liaison, avait traversé la guerre de 14-18 sans la moindre égratignure ! ...
Ce texte est le pieux hommage rendu à l’homme, à l’artiste, à l’ami par un de ses plus fidèles admirateurs.